La solitude m'accompagne depuis toujours.
Je suis entourée, mais seule. C'est assez difficile à exprimer. Ce nombre incalculable de fois où j'ai vu les autres être heureux ensemble, avec moi, comme une conne, en dehors.
J'ai appris à vivre avec ça, et je ne suis pas sûre que j'en souffre en fait. Ça fait partie de ce que je suis.
La solitude.
Ce n'est pas un mot qui pleure pour moi.
C'est un mot blanc et léger comme une mousseline de soie dont j'aurais été vêtue à la naissance, une seconde peau qui régulerait les échanges entre intérieur et extérieur, entre les autres et moi, une seconde peau protégeant celle du dessous de l'irritation inéluctable qu'entraîne le frottement prolongé avec tout élément exogène.
Un mot blanc comme peuvent l'être aussi les mots sérénité, paix, liberté, respiration et oxygène.
S'il m'arrive avec délice d'étendre ma solitude auprès de celle d'un autre ce n'est jamais pour bien longtemps.
Conceptuellement je voudrais pouvoir vivre aux côtés de cet autre sans me sentir mourir étouffée, je ne peux pas, chaque jour je me rends compte à quel point je ne peux pas. Voir en permanence des fragments de lui disséminés partout et regarder son odeur flotter dans l'air, presque palpable, y compris dans mon refuge, je ne peux pas.
Dans le brouhaha incessant du dehors, au milieu des villes, dans un troquet de campagne ou une soirée d'anniversaire je vois tous ces humains qui s'enchevêtrent, s'entrecroisent et agglutinent leur solitude à celle des autres. Je regarde les visages, je regarde ce qu'ils sont, tous, où ils vont. J'imagine les couches superposées de ces autres, et ce qu'ils cachent, vêtus de semblants comme une fille se couvre de lainages en hiver.
Parfois je surprends une solitude voisine à travers un regard et alors je m'amuse à tenter de la percer à jour. Parfois ce regard ne se détourne pas et il se met à sourire puis à parler, deux solitudes s'ouvrent la porte un moment.
Il y a tout ça dans la solitude sereine, celle qui m'accompagne.
La solitude consentie.